Les vertus de l'échec
- Céline
- 13 juin 2023
- 6 min de lecture
(ou la culture de l'erreur ? )
J’avais très envie de partager avec vous ma dernière lecture « les Vertus de l’échec » de Charles Pépin. Ce livre devrait être confié à toute personne ayant entre ses mains l’accompagnement de l’autre, en commençant par nous parents pour mieux guider nos enfants (qui a leur tour nous apprendrons), à vous professeurs mais aussi à vous tous qui accompagnez de belles âmes sur le chemin vers soi.
Issue de cette culture européenne (peut être même française), j’ai été comme beaucoup d’entre vous élevée avec le sentiment de l’échec (blâmable) quand beaucoup ailleurs découvre la « culture de l’erreur ». Quelle différence me demanderez-vous ? Cruciale, énorme, un paradoxe total qui nous permettrai d’évoluer bien différemment.
Je vais donc essayer avec mes mots (et ceux de M. Pépin) de vous montrer combien cette différence est fondamentale et comment la vivre au quotidien.
Parce que oui l’échec est une réalité, notre réalité, une vérité que Gaston Bachelard appelle « une erreur rectifiée ». Impossible de s’accomplir sans se confronter à ce réel qui par nos ratés nous donne l’occasion de réfléchir, de rebondir : il y a bien en face de nous quelque chose qui s’appelle le réel avec des choses qui dépendent de moi et d’autres pas (sinon je n’aurai pas échoué).
Ce qui dépend de toi, c’est d’accepter ou non ce qui ne dépend pas de toi, Epictète
Des intérêts de l’échec
L’échec aurait-il donc un intérêt ? Cela semble évident et pourtant …
Commençons par l’apprentissage : l’échec nous aide à apprendre plus vite. Il est des victoires qui ne se remportent qu’en perdant des batailles – énoncé paradoxal mais qui contient quelque chose du secret de l’existence humaine. Et bien que nos succès soient agréables ils sont bien souvent moins riches d’enseignement que les échecs.
Je me souviens encore de l’angoisse de mes 15 ans quand il me fallait choisir mon orientation scolaire avec cette sorte de mise en garde contre l’erreur d’aiguillage qui serait irréversible. Et de devoir 30 ans plus tard, rassurer ma fille, face à cette même angoisse, en lui disant qu’on trouve parfois sa voie plus vite en commençant par se tromper, qu’il est des échecs qui font avancer plus rapidement que des succès. Et de lui avoir prouver au fil de mes nombreuses tentatives pas toujours réussies.
On apprend peu par la victoire, mais beaucoup par l’échec. Proverbe japonais
Que dire du fait que l’erreur est quelques fois, souvent, le seul moyen de comprendre. En témoigne la façon dont sont mener nos recherches (scientifiques, médicales, biologiques, etc…), c’est en analysant les erreurs que nous avançons dans nos découvertes. Il nous a fallu des malades pour étudier et soigner les maladies.
Autre grand intérêt de l’échec : celui d’affirmer son caractère. Faire l’expérience de l’échec, c’est éprouver son désir et pouvoir se rendre compte qu’il est parfois plus fort que l’adversité.
L’échec aussi pour rester humble. Echouer c’est souvent « redescendre sur terre » (humilitas nous vient de « humus » : la terre), cesser de se prendre pour Dieu ou pour un être supérieur, guérir de ce fantasme infantile de toute puissance qui nous conduit si souvent dans le mur, mesurer nos limites, tandis que le délire narcissique ou l’illusion de toute puissance nous éloignent de cette prise de conscience. En nous rendant plus humble, l’échec nous engage sur un chemin plus sûr.
L’échec c’est aussi une chance de se réinventer, c’est la philosophie du devenir : croire que l’échec peut nous aider à rebondir, à nous réorienter, à essayer autrement. Deviens ce que tu es, Nietzsche
Il est d’ailleurs une manière très intéressante d’envisager l’échec : c’est par le biais des actes manqués (ou heureux accident ???). Lacan nous disait : dans tout acte manqué, il y a un discours réussi. En effet, en psychanalyse : un acte raté est souvent en même temps réussi – raté du point de vue de l’intention consciente, réussi du point de vue du désir inconscient (autrement dit c’est notre inconscient qui réussit à s’exprimer). L’échec, lorsqu’il est acte manqué nous demande d’ouvrir les yeux. Et s’il se répète, c’est peut-être que nous persévérons à les maintenir fermés. Et inversement il est des succès qui sont en fait des échecs, quand ils s’accompagnent d’une infidélité à nous-même.
Perception de l’échec
Tout cela étant dit, pourquoi vivons-nous nos erreurs comme des échecs douloureux ? et bien justement parce que notre culture en a fait quelque chose de blâmable, de honteux même, alors nous la vivons mal. Et cet échec se transforme alors en sentiment de l’échec. Alors que la culture de l’erreur protègerait, elle, de ce sentiment d’échec.
There is a crack in everything, that’s how the light gets in nous chantait Léonard Cohen (il y a une fissure en toute chose c’est ainsi qu’entre la lumière).
Et pourtant, nous constatons qu’il est plus aisé (plus dangereux aussi) de jouer sur les peurs que d’éveiller le courage et que dans notre monde rien n’agace plus qu’une âme remplie d’espoir.
Il est très important également de ne pas oublier que rater ce n’est pas être un raté. Là encore je m’adresse à vous parents, professeurs, accompagnants, dites-le à nos enfants, à toutes ces âmes en chemin, l’échec n’est pas celui de notre personne mais celui d’une rencontre entre un de nos projets et un environnement. Pour mieux vivre l’échec il faut ne pas s’identifier à lui. la bonne nouvelle c’est que l’homme est un pont et pas une fin, Nietzsche
Alors comment faire face à nos échecs ?
On commence par oser, je dirai même par oser l’échec. Parce que oui, à l’origine de toutes les belles réussites, on trouve une prise de risque et donc une acceptation de la possibilité de l’échec.
Pour cela, il va nous falloir décider c’est-à-dire faire confiance à notre intuition. Car après tout l’angoisse nous saisit lorsque nous avons une décision difficile à prendre et qu’il faudra assumer : c’est notre liberté qui nous effraie. les audacieux ne vivent pas longtemps, mais les autres ne vivent pas du tout, nous clame Richard Branson.
Ok facile à dire mais comment on apprend à oser ? Lao Tseu, lui, vous dirait avec un pas (un voyage de mille lieues commence par un pas) et par l’action car seule l’action libère de la peur. On pourra ainsi accroitre sa compétence, admirer l’audace des autres, n’être pas trop perfectionniste et se souvenir que l’échec sans audace fait mal.
Nous pourrions vivre nos échecs comme des occasions d’en apprendre sur nous-même ou de nous réinventer : ne pas se définir par nos échecs, et ne pas non plus se réduire à nos succès.
Les bénéfices
C’est simple, la joie
celle du combattant qui revient de loin avec la satisfaction éprouvée lorsque, au terme d’un long chemin, après des échecs et des désillusions, il réussit enfin. La difficulté de la conquête lui ayant permis d’en estimer le prix. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire, Corneille
celle de vivre : lorsqu’on a traversé les épreuves, on sait le goût des plaisirs simples
celle de l’adversité : la plus forte, la plus pure comme une réaction à la violence de ce monde. Notre joie semble trouver sa plus haute intensité, sa vérité même, lorsqu’elle est menacée. Le succès c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme, Winston Churchill
celle de progresser, d’actualiser sa puissance, sans être arrivé à sa perfection. Avancer sur le chemin en développant nos talents ou nos compétences, le but d’une existence.
Et cette joie mystique : l’approbation de tout ce qui est, le consentement puissant… (souvent atteint dans le dépouillement). La difficulté de la vie peut nous conduire au seuil de cet abandon, et nous offrir cette rencontre avec l’essentiel.
Alors quand on sait que le champ des possibles reste ouvert à l’infini…
Echouons encore car nos échecs sont des butins et parfois même des trésors. Prenons le risque de vivre pour les découvrir, et de les partager pour en estimer le prix.
Pour illustrer ce thème, Charles Pépin a choisi de conclure son livre avec ce poème de Rudyard Kipling, IF. Il dit tellement tout que j’en fais de même et vous laisse le redécouvrir (et le lire à vos enfants) :
Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir, Ou perdre en un seul coup le gain de cent parties Sans un geste et sans un soupir ; Si tu peux être amant sans être fou d’amour, Si tu peux être fort sans cesser d’être tendre, Et, te sentant haï, sans haïr à ton tour, Pourtant lutter et te défendre ; Si tu peux supporter d’entendre tes paroles Travesties par des gueux pour exciter des sots, Et d’entendre mentir sur toi leurs bouches folles Sans mentir toi-même d’un mot ; Si tu peux rester digne en étant populaire, Si tu peux rester peuple en conseillant les rois, Et si tu peux aimer tous tes amis en frère, Sans qu’aucun d’eux soit tout pour toi ; Si tu sais méditer, observer et connaître, Sans jamais devenir sceptique ou destructeur, Rêver, mais sans laisser ton rêve être ton maître, Penser sans n’être qu’un penseur ; Si tu peux être dur sans jamais être en rage, Si tu peux être brave et jamais imprudent, Si tu sais être bon, si tu sais être sage, Sans être moral ni pédant ; Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite Et recevoir ces deux menteurs d’un même front, Si tu peux conserver ton courage et ta tête Quand tous les autres les perdront, Alors les Rois, les Dieux, la Chance et la Victoire Seront à tout jamais tes esclaves soumis, Et, ce qui vaut mieux que les Rois et la Gloire Tu seras un homme, mon fils.
Comentarios